La belle légende des saints bretons

La bienheureuse
Anne-Thérèse Guérin

AVIS: L'abbé Muzo se trouvant inopinément indisponible, suite aux ignominieux mensonges proférés à son encontre par un jeune scout affriolant, la rédaction de cette notice a été assurée par son sacristain.

Les cloches d'Étables-sur-Mer ont tinté sur un rythme bien allègre, en ce 25 octobre 1998, à l'heure où sur la place Saint-Pierre bondée de nonnes en liesse, de Polonais en goguette et d'un car de Japonais égarés, notre Saint Père Jean-Paul II (mais je n'en pense pas moins) proclamait la béatification de l'enfant du pays, notre chère petite Anne-Thérèse Guérin - en religion Mère Théodore.

Une enfant charitable.
C'est en 1798 que la Divine Providence choisit notre coquet village pour y faire naître, dans une pauvre famille de paysans, celle qu'on devait plus tard appeler le "Rocher de Vincennes (Indiana)". Et dans le pays d'alentour, le souvenir de l'admirable petite Anne- Thérèse est resté bien vivant.

Dans les fermes de la Ville-Durand, on récite encore à la veillée, entre deux lampées de chouchenn, maintes anecdotes qui sont autant de leçons d'abnégation et de charité. Combien de fois ne vit-on pas la frêle enfant, à la nuit tombée, pousser à travers les chemins bourbeux, dans le vent et la tempête, la lourde brouette où croupissait son père accablé par l'ivresse?

On raconte aussi qu'un jour qu'elle revenait des Douves-Gourio, rapportant l'unique oeuf qui ferait la pitance journalière des ses trentre-six frères et soeurs, elle rencontra au détour d'une haie un pauvre hère aviné quémandant bruyamment l'aumône. Toute embrasée d'une sainte pitié, la pieuse enfant n'hésita guère, et saisissant le petit couteau dont elle se curait ordinairement les ongles, elle trancha l'oeuf en deux. Il était frais: ce fut finalement un vieux chien mécréant qui, d'un preste coup de langue, vint profiter de ce beau geste.

Une nonne très-dévote.
Mais si elle lui promettait déjà de douces joies dans l'Autre Monde, cette sainte conduite ne trouva guère sa récompense en celui-ci. Comment trouver un époux lorsque, animée par un indéfectible altruisme, on cède à ses compagnes abîmées dans le péché de coquetterie tous les beaux gars entrevus dans les fest-noz ? Et où cacher sa honte quand on doit finalement coiffer la Sainte-Catherine ?

L'aimable couvent de la Providence, à Ruillé (Sarthe), coulant des jours heureux sous le doux climat de la vallée du Loir, procura un refuge à l'infortunée jeune fille (1823). C'est dans le calme douillet de ce saint lieu, entourée de la tendre affection de sa supérieure et de la joyeuse complicité de ses consoeurs en religion, qu'elle s'employa, dix-sept ans durant, à faire mûrir et fructifier sa belle et grande Foi chrétienne.

Une missionnaire ardente.
Mais voici qu'un beau jour de surprenantes nouvelles frappèrent son oreille. Là-bas, bien loin, de l'autre côté de l'océan, des énergumènes emplumés préféreraient passer leurs dimanches à chasser le trappeur blanc plutôt que de fréquenter la sainte messe. Son sang de paroissienne ne fit qu'un tour. Et hop! la voilà partie. Bientôt arrivée sur les rives sauvages du fleuve Wabash (octobre 1840), non loin de Vincennes (Indiana), elle établit la mission de Notre Dame in the Woods.

Là, jour après jour elle enseigna le Pater aux indigènes, en échange de quelques belles peaux de renard ou de castor. Jusqu'à sa mort (14 mai 1856), elle y déploya une activité qu'on pouvait d'autant plus croire édifiante qu'on n'en savait pas grand-chose au pays. Le témoignage d'un Tagarin de souche, noté vers cette époque et que nous rapportons mot pour mot, est éloquent sur ce sujet: "L'Anne-Thérèse? Dame! Elle est ben trop occupée à ses pieuseries pour nous écrire des cartes postales!"

Des mérites reconnus.
On voit par cette anecdote que, de son vivant déjà, la vie exemplaire de notre chère Mère Théodore suscitait l'admiration des chrétiens du canton. Et sa réputation de sainteté ne fit que grandir encore après sa mort, au fur et à mesure que son souvenir se faisait plus flou. Dès lors, les choses ne traînèrent guère, et la procédure prestement introduite devant la Congrégation des rites (1909) aboutit sans délai à reconnaître ses mérites et à l'honorer du culte qu'on doit aux bienheureux (1998).

Vers la canonisation.
Mais l'auréole de la bonne Mère Théodore ne clignote encore que d'un éclat bien pâlichon. Pour que la sainte femme puisse prendre le rang qui lui est dû au sein de la cohorte des Brieuc, Malo, Efflam, Guirec et autres... "T'es ben trop petit, mon ami", eût dit le chansonnier. Dame, oui ! Il nous faut d'autres miracles.

Le bruit court qu'un émissaire secret du Vatican, savamment travesti pour échapper à la curiosité des estivants (on dit l'avoir vu ratisser son jardin en pyjama !), sillonne la région à la recherche d'une belle et solide preuve de sainteté : quelque source un peu glauque, mais miraculeuse, ou la carcasse d'un dragon en travers d'un chemin creux. Mais si, sur une goulée de Lambig lichetronnée sous l'invocation de la bienheureuse femme, vous vous sentez tout soudain emplis d'une douce béatitude, n'hésitez pas à le contacter : il saura en nourrir son dossier.


Pour plus d'informations, consultez le site des Soeurs de la Providence.